L.L Parlons de ce qui occupe une bonne partie de ta vie ?
K.R La peinture tu veux dire ? Un peu comme Woody Allen dans Annie Hall. J’ai toujours rêvé qu’on m’interviewe. Sans doute j’ai tant de choses à dire.
L.L Que racontes-tu avec ta peinture ?
K.R Une de mes références, Hugo Pratt, disait qu’il y a 13 façons de raconter sa vie. La meilleure façon que j’ai trouvé de raconter la mienne, c’est justement à travers la peinture.
L.L Parle-nous de ton parcours, de tes choix de vie …
K.R La peinture ça me vient de tout gamin. Je me souviens de couvercles de boîtes de gâteaux, en métal avec des reproductions de tableaux. Un Gauguin notamment. Après, ça ne m’a plus jamais quitté. Il y a eu les carnets de voyages à l’aquarelle ou au crayon. A cette époque, je travaillais pour le compte de l’AOI, une ONG médicale. J’étais à la recherche d’une identité. Je m’interrogeais à travers les rencontres et les mythes.
Les images flirtaient avec la violence, l’amitié, le rêve, la solitude et le trouble existentiel. A ce moment là, je travaillais en Asie, au Viet-Nam, au Cambodge, Laos, chez les réfugiés tibétains, au Mali ou en Haïti…
Aujourd’hui le voyage est plus intérieur, ciblé sur mon environnement. Depuis quelques années, je peins les dunes autour de chez moi. Des dunes que je parcours à pied et je les peins à l’huile. J’ai quitté le portrait, les personnages et je ne peins plus que sur toiles ou sur bois. Depuis peu, je me suis attaché à peindre d’autres éléments de mon milieu. L’eau particulièrement.
L.L Tu parlais de troubles existentiels, de voyages, de rencontres, mais on ne ressent plus cela dans tes tableaux. Tu peins l’eau, les dunes, le vent… C’est une peinture paysagiste, un peu abstraite parfois mais apaisante.
K.R J’ai choisi de présenter les derniers travaux, ceux de 2014 mais rien n’a changé sur le fond et je me demande toujours pourquoi la transposition de mes sensations se révèle au final être une image figurative tant il me semble que c’est mon inconscient qui travaille.
L.L Si on parlait technique. Tu ne peins plus qu’à l’huile ?
K.R Pour l’instant, j’ai laissé de côté l’aquarelle. C’est une technique très exigeante qui correspond bien au carnet de voyage. Mon voyage à présent est plus intérieur et je travaille beaucoup en atelier. J’ai remis les choses à plat et j’ai appris notamment dans des écoles d’art : l’huile avec Bernard DELAUNAY dans la fin des années 90 aux beaux-arts de Caen. J’ai retravaillé le dessin et la composition à la New York Studio School et à Heatheley’s Art School de Londres.
L.L En fait, tu es quasiment autodidacte ?
K.R Au départ oui. Je pensais qu’il fallait juste avoir des choses à dire. Peu importait qu’il y ait des fautes dans la manière de les exprimer. Depuis, j’ai senti qu’il fallait combler les lacunes. L’avantage c ‘est que je suis allé chercher ce que je voulais apprendre. Rien ne m’a été imposé.
Cette année, j’ai rencontré un peintre américano-chinois Ruo Li qui vit à Los Angeles et m’a invité à venir travailler dans son atelier. C’était à la fois très difficile mais aussi bouleversant. Et je vais mettre des années à digérer ce qu’il m’a enseigné.
Cependant, les bases de ce qui m’a attiré sont toujours là. C’est la recherche de l’ombre et la lumière. Je fais référence à Rembrandt et à des peintres plus récents comme Sorolla voire Sargent (remarquable aquarelliste). Mes génies, ceux qui ont guidé mes pas, ils sont toujours présents. Pèle-mêle on retrouve les Wyeth, Andrew surtout, Winslow Homer et tant d’autres plus contemporains d’ailleurs, voire dans des styles qui ne sont pas le mien. Je pense à Pollock, Freud, Hockney, Bacon… Tu vois, c’est très éclectique.
L.L C’est quoi ta démarche ?
K.R Je crois que c’est peindre vrai. Je fais appel en permanence aux voyages, aux rencontres. Mon travail c’est le reflet de moments intenses et de sensations fortes. Aujourd’hui, je me pose la question de savoir comment on peint le vent par exemple.
L.L Rencontres, voyages… il y a un côté romantique, aventure… Tu ne crois pas que tu es quelqu’un du passé ?
K.R Quelqu’un du passé ? Je ne pense pas, mais, ma démarche est un peu du passé, c’ est celle de l’Odyssée d’ Homère… Je suis peintre et la peinture est une forme d’ art pictural ancienne au regard de l’histoire, au regard des courants actuels.Vidéo ou autres représentations conceptuelles. Par ailleurs, je reste dans la figuration et dans l’utilisation d’une technique éprouvée. Mais est-ce un frein à la recherche, à l’ évolution ?
Je crois aussi que ma peinture est simple, je cherche à la rendre accessible mais je ne cherche pas pour autant à plaire. Je ne suis pas sur le créneau de l’esthétique et de la séduction à tous prix, même si j’ai envie de partager ce que je fais.
L.L Donc contemporain ou pas ?
K.R … mais je suis contemporain, bien que j’aime l’odeur de la térébenthine. Une chose me gène aujourd’hui, c’est le complexe du public vis à vis de l’Art contemporain.
Il y a comme une forme d’élitisme qui a créé des ghettos comme si l’émotion et la sensibilité devaient être des sentiments à bannir. On te dira que le débat était déjà d’actualité du temps des impressionnistes. Peut-être…
L.L Cela te pose t-il un problème d’avoir un autre métier que celui de peintre ?
K.R En tous cas, je m’en accommode mieux aujourd’hui. Je souffre moins. Mais ce n’est pas aussi simple…
L.L Pour finir, ne penses-tu pas que de parler de « son Art » c’est juste un problème d’égo ?
K.R C’est étrange ce statut de l’artiste dans une société, je parle des artistes en général. On touche au mythe. Ils ont des idées sur tout et souvent on a l’impression qu’ils ont peu de doutes. Leurs idées font souvent référence. Je me demandais en fait si être artiste ce n’est pas une tare. C’est juste de la provocation ce que je dis…
Entretien avec Lucie Lelièvre
Peinture figurative, huile sur toile, tableaux de vagues, dunes et havres…
Retour sur le parcours et les inspirations du peintre Kim Rouch.
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